Qu'est-ce que le triangle de l'inaction ?
Qui a le pouvoir d'agir sur le climat ? Quelle est la responsabilité des individus ? Et celle des entreprises ? Et de l'état ?
LEVIERS D'ACTIONS
Judicaël LE GALL
12/18/202412 min read
Introduction
Quand on parle d'environnement et de climat, le sujet semble souvent nous dépasser. Qui est vraiment responsable ?
En France, certains affirment que les citoyens portent une part de responsabilité. En tant que consommateurs, s’ils ne changent pas leurs habitudes de leur propre initiative, l’État ne peut pas tout leur imposer : nous sommes en démocratie, après tout !
Mais non, répondent d'autres. Ce sont les entreprises qui sont à blâmer ! Elles tardent à modifier leurs modèles économiques, bombardent les consommateurs de publicités et les incitent sans relâche à consommer davantage.
Toujours pas, répliquent les derniers. C'est à l’État d’instaurer des lois pour contraindre les entreprises à évoluer et encourager les citoyens à adopter de nouveaux comportements.
Ces trois points de vue illustrent ce qu’on appelle le triangle de l'inaction. Chaque partie prenante de la société occupe un sommet de ce triangle. L'inaction résulte de ce renvoi perpétuel des responsabilités : au final, personne n’agit.
Alors, où se situe la responsabilité de chacun ? Et au-delà de la France, comment se répartissent ces responsabilités entre riches et pauvres, ou entre pays aux réalités si différentes ?
Dans un monde où les démocraties reculent et où les problèmes environnementaux ignorent les frontières, comment pouvons-nous agir de manière active et rapide ?


Les entreprises
Les entreprises portent une lourde responsabilité dans la crise environnementale en raison de leurs modèles productivistes et extractivistes, où la rentabilité reste au cœur de leur fonctionnement. Cependant, elles soutiennent souvent qu’elles ne sont pas seules responsables, car elles ne font que répondre à une demande des consommateurs.
Or, même en répondant à cette demande, il leur est possible de transformer leurs modèles économiques pour proposer des offres similaires avec un moindre impact écologique.
Des exemples concrets de transformation
Certains exemples montrent qu’une transition est non seulement envisageable, mais également bénéfique. Michelin, par exemple, a repensé son modèle économique en louant des kilomètres plutôt qu’en se limitant à la vente de pneus. Cette approche les incite à concevoir des produits plus durables, tout en éliminant les pratiques d’obsolescence programmée. De son côté, Fairphone permet aux consommateurs de remplacer uniquement les pièces défectueuses de leurs téléphones, évitant ainsi le gaspillage lié au remplacement complet des appareils. Ces initiatives prouvent qu’il est possible de répondre à la demande tout en transformant radicalement le modèle économique sous-jacent.
Le marché de la seconde main, porté par des plateformes comme Vinted ou Backmarket, constitue une autre voie prometteuse. Ces solutions offrent aux consommateurs des alternatives qui réduisent leur empreinte écologique tout en répondant à leurs besoins.
Encourager l’évolution des entreprises
Des initiatives émergent pour accompagner les entreprises dans leur transition. La Convention des Entreprises pour le Climat (CEC) est un exemple phare : elle rassemble des collectifs de dirigeants pour les aider à transformer leurs modèles d’affaires face aux défis environnementaux et sociaux du XXIᵉ siècle.
Dans un autre registre, des dispositifs comme Quotaclimat jouent un rôle clé en dénonçant, via les médias et les réseaux sociaux, les entreprises aux pratiques néfastes. Cette pression publique ternit leur réputation et les pousse à adopter des comportements plus vertueux.
Une adaptation nécessaire
Les enjeux environnementaux ne se limitent pas à une question d’éthique : ils représentent également un défi majeur d’adaptation pour les entreprises. Ignorer les évolutions sociétales et les impératifs écologiques risque de rendre leur modèle économique obsolète. À titre d’exemple, le Global Risks Report de 2019 estime la valeur des services écosystémiques rendus par la nature (eau potable, pollinisation, prévention des inondations, etc.) à 125 000 milliards de dollars par an, soit deux tiers de plus que le PIB mondial. Ce chiffre illustre l’importance économique d’un environnement préservé et les risques associés à sa dégradation.
L'atténuation de l'impact de votre entreprise, conjointement avec l'adaptation de son modèle économique peut se faire à travers un Bilan Carbone®. Cet outil stratégique permet d'identifier les leviers d'action à votre disposition, puis de construire un plan de transition détaillé pour atteindre vos objectifs de réduction et d'adaptation.
L'état
L'Etat pourra arguer que la transformation des comportements et des pratiques ne se décrète pas uniquement par des lois : elle nécessite également des changements concrets sur le terrain. Cependant, un cadre réglementaire, combinant mesures incitatives et contraignantes, peut jouer un rôle crucial en incitant les entreprises à agir et les citoyens à adopter de nouveaux modes de consommation.
Des exemples réussis de cadre réglementaire
Un exemple marquant est celui de la loi BEGES (Bilan d'Émissions de Gaz à Effet de Serre) en France et de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) au niveau Européen, qui imposent aux entreprises une transparence accrue sur leurs impacts environnementaux. Ces dispositifs visent à intégrer les enjeux climatiques dans les décisions stratégiques des organisations.
À l’échelle internationale, le succès du Protocole de Montréal illustre l’efficacité des mesures juridiques contraignantes. Ce traité, signé en 1987, a interdit l’usage des chlorofluorocarbures (CFC), responsables de la destruction de la couche d’ozone. Ces gaz, autrefois largement utilisés comme réfrigérants ou propulseurs dans les bombes aérosols, ont provoqué un amincissement critique de la couche d’ozone, exposant les êtres vivants à des risques accrus de cancers de la peau et de cataractes.
Grâce à ce traité juridiquement contraignant, aujourd'hui ratifié par tous les pays, 99 % des substances détruisant la couche d’ozone ont été éliminées. En 2023, l’ONU a annoncé que la couche d’ozone pourrait retrouver son état de 1980 d’ici 40 ans. Cet exemple montre qu’une action coordonnée, appuyée par des réglementations strictes, peut résoudre des problèmes environnementaux majeurs.
Le rôle de la sensibilisation
Outre les lois, l’État peut également mener des campagnes de sensibilisation pour accompagner les changements de comportements. L’exemple du tabagisme en est une illustration : la sensibilisation aux risques pour la santé, combinée à des mesures telles que l’interdiction de fumer dans les espaces publics et l’augmentation des prix du tabac, a contribué à une baisse progressive du nombre de fumeurs.
Cependant, il est essentiel de reconnaître que le rationnel seul ne suffit pas toujours. Par exemple, malgré leur connaissance des risques pour la santé, les médecins fument en proportion similaire au reste de la population. Cela souligne l’importance des mécanismes émotionnels et psychologiques dans la modification des comportements.
Des mesures incitatives pour encourager la transition
Enfin, des mesures incitatives peuvent favoriser des choix plus durables. Parmi elles :
Les aides à l’achat de vélos électriques pour promouvoir une mobilité douce.
Les subventions pour la rénovation thermique des logements ou l’installation de pompes à chaleur, qui permettent de réduire la consommation énergétique.
Ces leviers financiers, combinés à une sensibilisation efficace et à des lois adaptées, peuvent accélérer la transition écologique tout en répondant aux contraintes économiques des citoyens et des entreprises.
Les citoyens
Dans un monde marqué par l’accélération des rythmes de consommation, il est facile de se sentir démuni en tant qu’individu. Quelle importance peuvent avoir nos actions individuelles, noyées dans la masse de ceux qui ne changent rien ? Pourtant, chaque geste compte.
L’imitation, un levier puissant
En tant qu’êtres sociaux, nous imitons naturellement les comportements des autres. Chaque changement opéré par un individu peut se répliquer par simple mimétisme. Ce phénomène, fondamental dans la nature humaine, est mis en lumière par le GIEC (section 5.4.1) : les comportements individuels et collectifs agissent comme des modèles à suivre.
Lorsque des figures publiques ou leaders d’opinion adoptent des pratiques écologiques, ils influencent une large partie de la population. À une échelle plus réduite, chaque individu effectuant un changement agit également sur son entourage proche, qui à son tour sensibilise d’autres personnes. Cet effet boule de neige peut, à partir d’un point de bascule, transformer toute une société.
Pour accélérer ce processus, il est essentiel de communiquer et de sensibiliser autour de soi. Par exemple, des ateliers de sensibilisations bien conçus permettent de toucher le triptyque tête, cœur, corps (comprendre, ressentir, agir) qui est au centre de toute évolution humaine. Le changement de comportement repose sur cet équilibre entre la compréhension rationnelle (la tête), l’émotion (le cœur) et l’action concrète (le corps).
Cependant, cet équilibre est souvent perturbé par des forces contraires.
L’impact de la publicité et des injonctions sociales
Nous sommes constamment bombardés de publicités et d’injonctions à consommer. Ces messages activent notre striatum, une zone cérébrale liée à la récompense immédiate, nous poussant vers des comportements impulsifs. Ce mécanisme est amplifié par des modèles économiques tels que l’ultra-fast fashion, incarnée par des marques comme SHEIN ou TEMU. Ces entreprises, qui proposent des produits à très bas prix, aggravent considérablement la crise écologique.
Pourtant, nous ne sommes pas réduits à nos instincts. En dépit de l’influence du striatum, notre capacité à raisonner peut nous guider vers des choix plus responsables. Opter pour la seconde main, privilégier la qualité ou encore réduire sa consommation de viande sont autant de décisions conscientes à notre portée.
Repenser l’environnement pour transformer les comportements
Nos choix ne sont pas uniquement influencés par notre cerveau : notre environnement culturel et social joue un rôle tout aussi déterminant. Par exemple, le statut social, qui valorise aujourd’hui la possession d’objets ostentatoires comme une grosse voiture, est une construction culturelle.
En transformant nos normes sociales, nous pourrions promouvoir d’autres valeurs : être végétarien, se déplacer à vélo ou réduire sa consommation énergétique. Le besoin de reconnaissance sociale, un moteur universel, peut ainsi devenir un levier pour encourager des actions vertueuses.
Il est donc crucial de percevoir la transition écologique comme un projet collectif positif, plutôt que comme une série de contraintes. La mise en avant de nombreux co-bénéfices sur la santé ou le bonheur est donc primordiale : se déplacer à vélo favorise l'activité physique, réduire sa consommation de viande diminue les risques de diabète, de maladies cardiovasculaires et de cancer, baisser le chauffage réduit la facture énergétique, etc.
Au delà du consommateur : le travailleur et le citoyen
Les individus ne se résument pas à leur rôle de consommateur. Ils sont également des étudiants, des travailleurs ou des salariés capables d’agir au sein de leur organisation, et des citoyens pouvant influencer les décisions publiques.
Chaque citoyen peut s’engager à différentes échelles :
Au sein de son entreprise, en proposant des initiatives écoresponsables,
À l’échelle locale, en participant à des projets ou en s’impliquant dans des associations,
Au niveau politique, en votant ou en participant directement à la vie démocratique.
Passer à l’action : la sobriété au cœur du changement
Pour passer à l’action, il est important de se concentrer sur les gestes qui ont le plus de sens selon son propre contexte. Des outils comme Nos Gestes Climat permettent de calculer son empreinte carbone et d’identifier les leviers prioritaires. D'autres ressources comme le site web Terrassentiel permettent de prioriser les actions individuelles les plus pertinentes pour réduire votre impact environnemental.
Disparités entre pays
Dans le débat sur la transition écologique, la responsabilité des émissions de gaz à effet de serre est souvent rejetée sur des pays à forte démographie, comme la Chine. Cependant, une analyse plus approfondie permet de mieux comprendre la répartition des responsabilités et d’éviter des conclusions hâtives.
Le graphique ci-dessous permet de remettre les choses en perspective : à gauche on observe les émissions de gaz à effet de serre annuelle des différentes régions du monde. La Chine avec ses 1,4 milliards d'habitants arrive effectivement en tête avec 30% des émissions mondiales. Cependant, si l'on s'attache à l'empreinte carbone moyenne par habitant, un chinois moyen émet environ 10 tCO2e par an, soit la même quantité qu'un français moyen et bien moins qu'un américain moyen (environ 17 tCO2eq/an).
Par ailleurs, si l'on s'attache au graphique de droite, on peut observer les émissions cumulées depuis la révolution industrielle (1850). Ce sont maintenant les Etats-Unis et l'Europe qui arrivent en tête. Ayant effectué leur développement plus tôt, ils ont déforesté et consommés leurs énergies fossiles avant les pays asiatiques.
Cette analyse soulève une question essentielle : peut-on pointer du doigt les pays en développement aujourd’hui, alors qu’ils suivent une trajectoire que les pays occidentaux ont eux-mêmes empruntée ?
Cette perspective appelle à un dialogue international plus juste, basé sur une répartition équitable des efforts et sur le soutien des pays les plus riches envers ceux en développement.


Richesse et impact environnemental
Il est crucial de souligner que l'impact environnemental n'est pas le même pour tout le monde. En effet, les inégalités économiques influencent directement les comportements et les leviers d’action en matière de transition écologique. Plus on est riche, plus l'on a tendance à consommer des ressources et à émettre des gaz à effet de serre, en raison d'un mode de vie plus énergivore, de plus grandes consommations et de déplacements plus fréquents.
Ainsi, une étude d'Oxfam (graphique ci-dessous) révèle que les 10% les plus riches de la population mondiale sont responsables de près de 50% des émissions globales de gaz à effet de serre. Ce déséquilibre met en lumière la nécessité de prendre en compte ces disparités pour penser une transition juste et équitable.


Sources
Entreprise, Etat, Citoyens, comment débloquer le triangle de l’inaction, Conférence, Tech For Climate, 2024
Terrassentiel, actions individuelles
Notre cerveau nous condamne-t-il à détruire la planète ?, 2024, Le réveilleur et HomoFabulus
Les scénarios, Les futurs en transition, ADEME
Quotaclimat, site web
Le trou de la couche d'ozone se résorbe !, 2023, WWF
Valeur des services écosystémiques rendus par la Nature à l'économie selon le Forum Economique Mondial, Economie Eaufrance
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Comment dépasser l'inaction ?
Aujourd’hui, de nombreux freins entravent les changements nécessaires à la transition écologique :
Absence de vision positive : la transition est souvent perçue comme une contrainte plutôt que comme une opportunité.
Manque d’envie d’agir : l’effort requis semble parfois écrasant ou inutile à l’échelle individuelle.
Cependant, il existe de nombreuses manières de dépasser le fameux triangle de l'inaction et de nombreuses évolutions positives sont déjà visibles :
Les supermarchés et les restaurants proposent de plus en plus de produits et d'offres végétariens.
L’offre de vélos et d’infrastructures cyclables se développe dans les grandes villes.
Le niveau de sensibilisation de la population progresse
Des mesures de plus en plus contraignantes sont mises en place
etc.
Pour aller plus loin, il est essentiel de dépasser le triangle de l’inaction (citoyens, entreprises, État) en rétablissant le dialogue entre ces parties prenantes et en intégrant un quatrième sommet : les corps intermédiaires.
Mettre en avant les co-bénéfices
Pour susciter l’envie d’agir, chaque mesure écologique doit être accompagnée de gains tangibles et motivants. Ces co-bénéfices peuvent inclure une meilleure santé - grâce à une alimentation plus équilibrée ou à des modes de transport actifs comme le vélo par exemple - ou une amélioration du bien-être - avec moins de consommation superflue conduisant à un mode de vie plus serein et épanouissant.
Mobiliser les émotions
Le changement ne repose pas uniquement sur des arguments rationnels : les émotions jouent un rôle clé pour passer à l’action.
Peur : l’éco-anxiété ou la peur de perdre notre qualité de vie actuelle peuvent être des moteurs puissants.
Joie et espoir : participer à un projet collectif porteur de sens peut également susciter un élan positif.
Il existe de nombreux chemins vers la neutralité carbone. Par exemple, les scénarios de l’ADEME décrivent quatre modèles de société compatibles avec cet objectif. Ces trajectoires permettent d’imaginer une transition adaptée à divers contextes culturels et économiques. Le défi consiste à choisir le projet collectif qui nous engage dans un élan positif.
Favoriser le dialogue entre les acteurs
Pour briser l’inaction, un dialogue entre les trois sommets du triangle (citoyens, entreprises, État) est essentiel. Chacun des sommets peut engager des actions :
Sobriété : les individus peuvent modifier leurs modes de vie et leurs choix de consommation.
Organisation sociale par l’État : des politiques publiques incitatives ou contraignantes sont nécessaires pour structurer la transition.
Innovation et transformation économique : les entreprises doivent adapter leurs modèles pour proposer des solutions durables et alignées sur les enjeux environnementaux.
Activer les corps intermédiaires
Le changement ne repose pas uniquement sur ces trois acteurs principaux (État, entreprises, citoyens). Les corps intermédiaires, tels que les collectifs humains, les associations, les syndicats, et les médias, jouent un rôle crucial pour :
Structurer et relayer les revendications : en organisant les voix citoyennes.
Sensibiliser et mobiliser la population : en éduquant sur les enjeux et les solutions.
Exercer des pressions sur les décideurs et les citoyens : en incitant les trois sommets du triangle à agir.
Les médias, par exemple, peuvent transformer l’imaginaire collectif et faire émerger une vision inspirante de la transition. Ils peuvent également lutter contre la désinformation climatique grâce à des initiatives comme Quotaclimat, qui produit des données objectives pour éclairer le débat public et challenge les journalistes et médias pour garantir une information rigoureuse et fiable.
Vers un « carré de l’action »
En intégrant les corps intermédiaires aux trois sommets du triangle, le triangle de l’inaction peut se métamorphoser en un carré de l’action, où chaque acteur joue son rôle de manière complémentaire :
Les citoyens adoptent des modes de vie sobres, vote pour influer l'état et consomment différemment pour influencer les entreprises.
L’État met en place des politiques ambitieuses, des sanctions et des aides pour aider les citoyens et les entreprises à adopter des fonctionnements plus durables.
Les entreprises innovent et changent leur modèle économique pour adapter leur offre au monde de demain et pérenniser leur activité.
Les corps intermédiaires mobilisent, relaient et exercent une pression constructive sur les citoyens, les entreprises et l'état.
Ce modèle élargi permet de dépasser les blocages actuels pour construire une transition écologique collective, efficace et pérenne.